Di Gennaro, Agnès
(2007).
« Psychotropes et sociétés : étude à partir de l'usage rituel d'un hallucinogène naturel (Ayahuasca) dans le cadre de la médecine traditionnelle en Amazonie péruvienne » Thèse.
Montréal (Québec, Canada), Université du Québec à Montréal, Doctorat en sociologie.
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Résumé
L'origine de cette thèse est un questionnement sur l'usage différencié de psychotropes dans les sociétés contemporaines et sur la question des frontières entre drogues et médicaments psychotropes, pathologie mentale et souffrance, thérapeutique et confort (Ehrenberg, 1991, 1995, 2000; Ehrenberg et Mignon 1998). L'hypothèse centrale est : les effets sociaux et individuels des usages de psychotropes dépendent davantage des rapports sociaux dans lesquels ils s'inscrivent que des qualités biochimiques des substances. Ces rapports sociaux sont le fruit d'une articulation à chaque fois particulière entre les représentations des substances, les contextes d'usages et les finalités attendues des usages. Ils font intervenir des normes, des valeurs et des croyances, médiatisées par l'imaginaire en tant que réservoir d'images et l'imagination en tant que fonction psychique (Durand, 1998). Pour explorer cette idée, nous avons étudié l'usage d'un hallucinogène naturel (Ayahuasca) dans le cadre de la médecine traditionnelle amazonienne péruvienne. L'usage rituel étudié et les traductions des états psychiques faisant suite à l'ingestion interpellent les notions de santé, de maladie mentale et de normativité. Cette dernière est un précieux indicateur anthropologique et sociologique d'un dialogue particulier entre subjectivité et socialité. Au cours de notre travail d'analyse (d'entrevues semi-dirigées menées auprès de guérisseurs et d'usagers de l'Ayahuasca), nous montrons comment l'attribution de significations à un état psychique spécifique (celui faisant suite à l'ingestion) relève de la normalité alors qu'il évoque des formes pathologiques reconnues par la psychiatrie. La modification de conscience faisant suite à l'ingestion de la substance est un état temporaire, encadré par la ritualisation. Les significations conférées à ce vécu particulier (entendre des voix, être attaqué par des monstres par exemple), indiquent un contact avec une dimension invisible du réel. L'originalité de cette thèse réside dans la démonstration des mécanismes et processus qui font d'un état d'étrangeté et d'altérité à soi une expérience structurante, thérapeutique et créatrice de lien social. Les mécanismes de régulation et l'efficacité de l'usage résident essentiellement dans son caractère sacré : le dispositif central par lequel se comble la césure entre l'intériorité et l'extériorité est la présence culturellement ancrée et phénoménologiquement attestée d'une dimension invisible du réel. L'usage de l'Ayahuasca est en cela un fait psychique de nature sociale, et simultanément, un fait social de nature psychique. Il permet des manipulations symboliques spécifiques des catégories du bien et du mal, du réel et de l'imaginaire par et dans un vécu du sacré. Il participe également à la formation d'une éthique individuelle enchâssée à une éthique sociale : le souci de soi est indissociable du souci de et pour autrui. À partir de cette analyse et des considérations théoriques sur le rôle fondamental de l'imaginaire, de l'imagination et du sacré dans l'ensemble des sociétés (Bastide, 1975), nous reconsidérons les usages de psychotropes dans les sociétés contemporaines occidentales dans leur articulation à la question de la normativité. D'une part, la naturalisation de la maladie mentale par la désignation pathologique fondée sur l'étiologie biochimique (à tout désordre biochimique correspond un désordre psychique) en évacue la dimension sociale et participe, dans une certaine mesure, à un enfermement du sujet sur une pure subjectivité balisée par les frontières de l'individualité. La question de la santé et de la pathologie mentale ne peut se comprendre sans intégrer cette dimension sociale et le rôle central des valeurs et croyances qui lui sont associées. Normalité et anormalité sont dans cette perspective des faits individuels de nature sociale. D'autre part, la banalisation des usages de médicaments psychotropes, la permanence et la variabilité des usages de drogues indiqueraient des formes de résistance, ou au contraire des accommodations à l'effacement du sacré et de l'invisible. Elles seraient l'expression d'un rapport particulier à la vie et à la mort dans lequel le champ biomédical (savoirs et pratiques thérapeutiques) s'est, dans une certaine mesure, substitué à la philosophie et à la religion, pour réaliser la médiation entre le visible et l'invisible, le connu et l'inconnu, la santé et la maladie, la normalité et l'anormalité.
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MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : psychotrope, sacré, thérapeutique, soin, imaginaire, imagination, symbolique, rituel, croyances, médecine traditionnelle.
Type: |
Thèse ou essai doctoral accepté
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Informations complémentaires: |
La thèse a été numérisée telle que transmise par l'auteur. |
Directeur de thèse: |
Roy, Shirley |
Mots-clés ou Sujets: |
Aspect socioculturel / Plante hallucinogène / Médecine traditionnelle / Psychotrope / Rite / Usage thérapeutique / Amazonie péruvienne |
Unité d'appartenance: |
Faculté des sciences humaines > Département de sociologie |
Déposé par: |
Service des bibliothèques
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Date de dépôt: |
02 mai 2017 10:39 |
Dernière modification: |
02 mai 2017 10:39 |
Adresse URL : |
http://archipel.uqam.ca/id/eprint/9629 |