Chassay, Jean-François; Gervais, Bertrand et Côté-Fournier, Laurence, ed.
(2012).
Un malaise américain: variations sur un présent irrésolu, sous la dir. de Chassay, Jean-François; Gervais, Bertrand et Côté-Fournier, Laurence.
Montréal, Centre Figura, coll. « Cahiers ReMix », no 3, 60 p.
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Résumé
Poussés par certains économistes (et gens de pouvoir), le discours médiatique aussi bien que la rumeur sociale associent le mot «crise» à une angoisse profonde, une peur tangible. Pourtant, une crise est aussi l’occasion d’une formidable réflexion intellectuelle.
Il existe un «malaise dans la culture» et nous avons voulu en examiner le versant nord-américain. À quoi tient-il? Comment le cerner? Comment l’imaginaire contemporain exprime-t-il les effets de dissémination d’une culture qui va dans tous les sens, la multiplication des titres et des événements, des supports, des modes de diffusion provoquant une perte de repères importante?
Dans son livre L’Homme qui prenait sa femme pour un chapeau, le neurologue Oliver Sacks écrit que «chacun d’entre nous est une biographie, une histoire, un récit singulier qui s’élabore en permanence […]. Nous devons nous ‘‘rassembler’’, rassembler notre drame intérieur, notre histoire intime. Un homme a besoin de ce récit intérieur continu pour conserver son identité, le soi qui le constitue.» S’il s’agissait de réunir en une formule les contributions qu’on retrouve dans ce cahier de recherche ReMix, on pourrait proposer que l’imaginaire contemporain renvoie pour une bonne part à une perte de contact avec ce récit singulier. À travers l’œuvre de Douglas Coupland se modifie le rapport ontologique du sujet au monde, un sujet coupé du déroulement du temps (et donc de l’Histoire) qui s’enferme dans le présent, ayant du mal à mettre en récit sa propre histoire (Gabriel Gaudette). Provoquées notamment par les effets du divertissement technologique, du spectacle médiatique, les relations intersubjectives deviennent malaisées comme on le voit dans Infinite Jest de David Foster Wallace (Simon Brousseau), qui est aussi examiné à travers un langage où cliché et ironie rendent difficiles l’authenticité et un rapport sincère aux valeurs (Laurence Côté-Fournier). Chez Margaret Atwood, le présent se voit disloqué dans un roman, The Robber Bride, qui met en scène également une crise du sujet, symptôme d’une violence souterraine qui traverse la société (Marie Parent). Cette violence passe aussi socialement par un travail de manipulation et de propagande des images et des mots qui pervertit l’Histoire : une publicité récente en donne un bon exemple (Joëlle Gauthier). L’ambiguïté de cette crise du sujet est aussi une quête de sens dans Inception, film oscillant entre rêve et réalité, processus et finalité (Jean-Simon DesRochers).
Entre les mots et les images, l’imaginaire contemporain, dans les sociétés d’Amérique du Nord, rappelle que les mutations technologiques et médiatiques nous ramènent toujours à la question du sujet. Son évanescence, sa virtualité dans les réseaux, la rapidité d’une actualité immédiatement dépassée, ne fait que reposer autrement la question du sens et des valeurs dans la pensée.