Lecompte, Maude
(2021).
« Utilisation de Tinder : une étude exploratoire » Thèse.
Montréal (Québec, Canada), Université du Québec à Montréal, Doctorat en sexologie.
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Résumé
L’effacement progressif des structures normatives officielles, l’élargissement de l’éventail des possibilités relationnelles et le raffinement des technologies ont permis l’émergence d’applications de rencontre en ligne faciles d’emploi, accessibles et sophistiquées. Les applications de rencontre se distinguent des sites de rencontre traditionnels qui les ont précédées par la mobilité offerte, mais également par la teneur des profils dans lesquels le visuel a préséance. Certains auteurs attribuent des changements sociaux négatifs aux rencontres en ligne, dont une fragilisation du lien social et une perte d’individualité, conséquence perçue de la marchandisation des individus. D’un autre côté, certains y voient des opportunités de réflexivité inédites et un réinvestissement du lien social, qui se traduirait dans la popularité des plateformes de rencontre. Tinder est l’une des applications de rencontres les plus populaires à ce jour, néanmoins la recherche empirique sur le sujet s’intéresse généralement aux adultes émergents. Par la mobilisation d’un cadre conceptuel interdisciplinaire, cette étude a pour objectif d’explorer l’utilisation de Tinder auprès de personnes âgées de 25 à 45 ans. Cette recherche visait à répondre aux questions spécifiques suivantes : 1) Quelles sont les modalités d’utilisation de l’application ? 2) Quelles sont les motivations d’utilisation de l’application et diffèrent-elles selon le genre et l’âge des individus ? 3) Les critères de sélection influençant l’appréciation d’un profil et la décision de poursuivre l’interaction au-delà du jumelage diffèrent-ils entre les hommes et les femmes ? 4) La parité chez les utilisateurs.trices de Tinder est-elle l’expression d’une agentivité sexuelle féminine ou une reproduction des attentes inscrites depuis des générations en fonction du genre? 5) De manière générale, quels sont les discours sociaux véhiculés par les utilisateurs.trices de Tinder? La démarche s’inscrit dans une méthodologie qualitative inductive visant à approfondir l’utilisation fonctionnelle de l’application, mais également les significations individuelles de l’expérience d’utilisation de Tinder et ses usages symboliques. Deux types d’analyse ont été menés ; une analyse de contenu thématique et une analyse critique du discours. Les résultats obtenus démontrent que les modalités d’utilisation de Tinder sont diversifiées. Toutefois, certaines grandes tendances ont été observées dont une utilisation cyclique influencée par un calcul rationnel, et qui vise avant tout le divertissement. Par ailleurs, le téléchargement initial serait motivé par un désir d’intégration au groupe, de suivre la tendance. Les critères de sélection seraient davantage des critères de rejet et s’orientent autour de la recherche d’un index de dimorphisme sexuel de stature ainsi que la recherche d’une homogamie sociale. La parité annoncée chez les utilisateurs de Tinder ne serait pas le signe d’une agentivité sexuelle féminine dans la mesure où la persistance des scripts sexuels dominants ainsi que l’adhésion à des rôles de genre traditionnels et à des définitions stéréotypées de la masculinité et de la féminité font de Tinder un environnement qui n’est pas propice à l’expression d’une agentivité sexuelle féminine. Par contre, ce constat n’est pas nécessairement représentatif d’une position subordonnée par les utilisatrices, qui semblent utiliser sciemment leur avantage stratégique sur l’application. En ce qui a trait aux discours sociaux ambiants véhiculés par les utilisateurs, mis à part les discours traditionnels sur le genre, ils mobilisent également des discours dominants sur l’amour romantique, la consommation et le néolibéralisme. L’adhésion à un modèle romantique de l’amour remet en question les effets anticipés de l’évolution sociale et technologique. Néanmoins, dans l’ensemble les résultats démontrent que les discours des utilisateurs ne se démarquent pas comme étant foncièrement transgressifs ou alternatifs, mais reconduisent plutôt des discours dominants. À la lumière de ces constats, Tinder n’apparaît pas comme un dispositif, au sens foucaldien du terme, mais bien comme un gadget de plus pour maximiser la rentabilité de l’entrepreneuriat de soi.
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MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : Tinder, rencontres en ligne, recherche qualitative, analyse critique du discours