Cassiani-Laurin, Frédéric
(2018).
« La singularité transhumaniste comme mythe eschatologique contemporain : l'utopie technologique en tant qu'achèvement du projet moderne » Mémoire.
Montréal (Québec, Canada), Université du Québec à Montréal, Maîtrise en sciences des religions.
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Résumé
Cette recherche s'est fixé pour objectif de présenter le discours transhumaniste – en particulier le singularitarisme de Ray Kurzweil – afin d'en explorer la dimension eschatologique pour la société contemporaine. Par une approche herméneutique inscrite dans l'axe d'une anthroposociologie de la technique et de la science, nous visons dans un premier temps à situer notre objet dans son contexte d'émergence. Dans un deuxième temps, nous cherchons à éclaircir les fonctions auxquelles répond le discours transhumaniste et l'utopie technologique en général dans la société contemporaine. Si l'« homme nouveau » de la Renaissance était d'abord compris dans le cadre d'une utopie du citoyen idéal, le recul progressif que connaîtra l'idée d'État-nation ainsi que la montée du paradigme technique, néolibéral et utilitariste au cours des siècles suivants transposeront le concept dans sa forme concrète, c'est-à-dire celle d'un humain proprement transformé en un être posthumain s'étant débarrassé des limites de sa biologie et étant dorénavant capable d'optimiser ses capacités, sa productivité et ses plaisirs. Dans le discours kurzweilien, l'avènement de la Singularité constitue ainsi le point de bascule paradigmatique de tout le processus d'évolution : il marque le moment où l'intelligence artificielle, créée par les ingénieurs, prendrait le relais pour la gouvernance de la race humaine et de la planète, jusqu'à multiplier son contrôle à l'infini. L'humanité, entretemps, se serait débarrassée de son enveloppe corporelle, la remplaçant progressivement par des technologies lui permettant de dépasser toutes ses contraintes et d'augmenter son potentiel au-delà de toutes limites. Dans ce mémoire, nous montrons que ce discours techno-utopiste aurait été impossible à l'extérieur du schème libéral, puis néolibéral, d'un marché autorégulé. Or, le transhumanisme est également un mouvement profondément religieux tout à fait caractéristique, voire emblématique, de l'Occident moderne. Les idéaux du transhumanisme récupèrent avec une efficacité redoutable ce qui est au cœur de notre imaginaire collectif. La quête de l'infini, de l'immortalité et de l'absolu typique du projet transhumaniste répond à notre incapacité viscérale d'assumer la mort. Il fonctionne ainsi en tant que mythe eschatologique contemporain. En outre, le discours transhumaniste est d'ascendance profondément chrétienne : il l'est en « surface » par l'eschatologie chrétienne laïcisée et technicisée qu'il annonce; il l'est également, de manière plus structurelle, par la matrice chrétienne qui le traverse de part en part. Il l'est aussi, en dernier lieu, par son rapport à la mort et à la vérité, par sa quête de l'absolu. Le transhumanisme est donc imprégné à la fois du christianisme et du mouvement des Lumières moderne, bien qu'il appelle en même temps à leur négation.
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MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : Transhumanisme, Kurzweil, Eschatologie, Technologie, Modernité, Mythologie contemporaine.