Prévost, Jean-Guy
(1986).
« Raymond Aron devant les crises : essai sur l'éthique d'un intellectuel français » Mémoire.
Montréal (Québec, Canada), Université du Québec à Montréal, Maîtrise en science politique.
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Résumé
La question centrale à laquelle tentera de répondre ce mémoire est la suivante : quelle éthique intellectuelle peut-on dégager des attitudes adoptées par Raymond Aron à l'occasion des crises politiques? Aron, on le sait, tentait de concilier l'engagement de l'intellectuel dans les luttes de la Cité et la volonté de dépassionner les conflits. Pour lui, les problèmes politiques pouvaient et devaient faire l'objet d'une discussion et d'une décision raisonnables. Il professait à cet effet trois règles de conduite : 1) reconnaitre la spécificité de la politique; 2) refuser le manichéisme; 3) accorder la primauté aux faits dans l'analyse. Cet essai montrera comment et jusqu'à quel point les conjonctures de crise mettent à l'épreuve ces trois règles et, partant, l'éthique intellectuelle de Raymond Aron. Les quatre crises politiques choisies pour les fins de cette étude sont : la Seconde guerre mondiale, la guerre d'Algérie, la conférence de presse du général de Gaulle en 1967 et les événements de mai 1968. Pour chacune d'elles, on cherchera à éclairer les paradoxes que soulève l'attitude d'Aron. Ainsi part-il pour Londres dès juin 1940, mais se refuse-t-il en même temps à tenir les dirigeants de Vichy pour des traîtres. De même se prononce-t-il tôt pour l'indépendance de l'Algérie; il se cantonne cependant dans une attitude de désapprobation passive et critique vivement les appels à l'insoumission ou à la désobéissance civile. En 1967, Aron, qui s'était pourtant fait fort discret à l'époque du génocide, réagit de façon virulente à la "petite phrase" du Général sur les Juifs : la réaction semble ici inversement proportionnelle à la gravité de l'événement. Enfin, en 1968, ce critique notoire de l'université se porte avec fougue à la défense de l'institution : celui qu'on aurait espéré compréhensif se montre véhément devant la critique "active" des émeutiers. Quatre conclusions se dégagent de ces analyses : 1) la conduite d'Aron à l'occasion des crises est placée sous le signe du paradoxe; 2) le patriotisme joue chez lui un rôle déterminant quant à l'attitude et aux prises de position; 3) l'écriture est considérée par Aron comme un acte politique et le moyen d'intervention privilégié de l'intellectuel; 4) l'indépendance de l'intellectuel s'accompagne par ailleurs d'une impuissance à peser sur le cours des événements. Ces conclusions marquent les limites de l'éthique intellectuelle aronienne et les difficultés d'une décision raisonnable en période de crise.