Goulet, Jean
(2006).
« L'organisation des services urbains : réseaux et stratégies dans les bidonvilles de Port-au-Prince » Thèse.
Montréal (Québec, Canada), Université du Québec à Montréal, Doctorat en études urbaines.
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Résumé
Considérés comme des anomalies temporaires dans les sociétés urbaines occidentales, les bidonvilles, ou les "établissements urbains précaires" selon l'expression consacrée, sont au contraire une réalité incontournable et ancrée profondément dans l'histoire urbaine de la planète. Ils abritent en 2005 le tiers de la population urbaine de la terre, et la moitié de la population urbaine du tiers-monde : un milliard d'habitants. Ils seront deux milliards à l'horizon 2025. Le bidonville est l'avenir de la ville du XXIe siècle, et les solutions qui furent mises de l'avant dans les villes occidentales pour en assurer la résorption durant le XIXe et le XXe siècle, sont inapplicables face à l'ampleur du phénomène, au rythme de croissance de ce type d'habitat et à la rareté des ressources mobilisables pour répondre aux besoins selon les critères occidentaux. Plus souvent qu'autrement, les résidents des bidonvilles sont laissés à eux-mêmes par un État impuissant ou indifférent, alors que les besoins pour des services de proximité sont intenses et multiples : soins de santé, éducation, approvisionnement en eau potable, évacuation des eaux usées, sécurité, solidarité sociale, lieux de rencontre, loisirs, etc. Bref, les bidonvillois sont d'abord et avant tout des urbains qui réclament des services et des aménagements pour leur garantir une certaine qualité de vie. Malgré l'absence de l'État, de tels services existent-ils dans les bidonvilles et si oui, comment apparaissent-ils? À partir de l'étude de plusieurs bidonvilles de l'agglomération de Port-au-Prince (Haïti), l'auteur démontre que ces services existent bel et bien, qu'ils sont nombreux, efficaces et variés, et que leur mise en place repose sur les efforts des ménages regroupés en réseau plus ou moins institutionnalisé : réseau familial et réseau de voisinage, réseau religieux, réseau associatif et réseau politique. Les logiques selon lesquelles les services se déploient dans l'espace urbain sont elles aussi multiples : solidarité, marchandage, clientélisme, recrutement de fidèles, système parallèle de taxation. Au-delà d'un simple réflexe supplétif face à un État absent, le développement des services de proximité dans les bidonvilles apparaît être une structuration de l'organisation sociale, une re-création de l'État "par le bas", le tout en fonction d'un horizon lointain qui couvre souvent plusieurs générations. Les réalisations physiques et sociales des bidonvilles sont impressionnantes et témoignent de la volonté des bidonvillois de s'ancrer dans leur territoire et de "bâtir la cité", au sens propre comme au sens figuré. Tout n'y est pas rose évidement : la pauvreté y est présente, la maladie y fait des ravages et la mort y rôde en permanence. Mais les bidonvillois offrent des pistes de solutions originales, endogènes et étonnantes, qui contribuent à améliorer leur milieu de vie en le rendant un peu plus confortable et sécuritaire. Et c'est justement le caractère endogène des solutions qui s'impose comme une remise en question profonde des approches traditionnelles de l'aide au développement et de visions occidentales de ce qu'est "la vraie ville". En conclusion, les solutions aux problèmes des bidonvilles viennent souvent des bidonvilles eux-mêmes mais les limites de ce développement endogène mettent aussi en évidence la nécessité d'une structure d'intervention plus globale : l'État.
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MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : Bidonville, Services urbains, Réseaux, Haïti, Pauvreté urbaine