L'Ingénieur : entre problème et paradoxe

Arpin, Marie-Luc (2020). « L'Ingénieur : entre problème et paradoxe » Thèse. Montréal (Québec, Canada), Université du Québec à Montréal, Doctorat en administration.

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Résumé

Partant du phénomène paradoxal que rendent aujourd’hui saillant les discours d’institutions phares de l’ingénierie de par le monde, cette thèse s’intéresse aux flux et aux blocages du sens collectif au sein des sociétés dites modernes. Suivant ledit phénomène, les professions d’ingénieur contemporaines apparaissent et se représentent elles-mêmes comme étant naturellement légitimes et centrales dans la confrontation des grands enjeux (globaux) du temps présent – tout problème ou toute solution comportant a priori une dimension technologique –, alors même qu’elles se ressentent et se vivent en même temps comme invisibles et confrontées à un impératif radical de (re)légitimation qui culmine à l’échelle globale. Tout se passe en somme comme si, pour continuer d’exister en tant qu’entités sociales distinctives, les professions d’ingénieur se devaient désormais diversement et à différents degrés d’opérer la dénationalisation de leur idéal professionnel, ainsi que des ontologies nationales auxquelles cet idéal s’attache partout historiquement. Ce dernier phénomène paradoxal sert donc de point de départ à la thèse. Car par-delà le caractère nouveau et anecdotique (ou même idosyncratique) que recèle en apparence l’expérience du paradoxe, sa portée dans le temps et dans l’espace est énorme; elle dépasse en outre largement les frontières institutionnelles que l’on a diversement reconnues aux professions d’ingénieur depuis le XVIIIe siècle. Même aux États-Unis, là où les conséquences ontologiques du phénomène pour la profession d’ingénieur furent décelées en 2002 par Rosalind Williams – historienne des technologies au Massachusetts Institute of Technology (MIT) –, la dynamique paradoxale qui le sous-tend est à ce jour restée largement lettre morte au sein des cercles de chercheur(e)s américains associés à la Recherche en éducation à l’ingénierie (Engineering Education Research) et aux Études sociales de l’ingénierie (Engineering Studies) – lesquelles constituent dans le cadre de cette thèse des points d’ancrage tant théoriques qu’empiriques. En outre, si R. Williams (2002) cerne effectivement le caractère paradoxal et les implications ontologiques des tensions qui se manifestent à travers les institutions de l’ingénierie aux États-Unis, elle n’en ignore et n’en occulte pas moins elle-même les termes constitutifs du paradoxe fondamental en cause, de même que la puissante heuristique qui se dégage de leur interdépendance (ou unité). Ce sera donc là une importante contribution théorique, dont les retombées pratiques et pédagogiques pourront toucher les champs de l’ingénierie, mais aussi s’étendre bien au-delà, comme par exemple à ceux du management ou des études urbaines. Bien connu en sciences sociales, le paradoxe ici en cause – et qui se manifeste à travers les conflits et contradictions des professions contemporaines d’ingénieurs – est fondamental au sens où sa dynamique (paradoxale) se situe au fondement de la modernité, et la caractérise. Elle correspond notamment à la tension entre « ordre spontané » (kosmos) et « ordre arrangé » (taxis), conçue par Friedrich A. von Hayek (1990) comme distinctivement moderne, de même qu’à la confusion commune qui en découle, et qui consiste à vouloir gouverner un « ordre spontané » (par ex. la société québécoise) suivant des théories de l’organisation ou du changement social qui l’assimilent à un « ordre arrangé »; ou encore, avec Anthony Giddens, elle correspond à la « double herméneutique » caractéristique des sociétés modernes, c’est-à-dire à « un modèle de réflexivité, où il n'y a pourtant pas de parallélisme entre l'accumulation du savoir sociologique d'un côté, et du contrôle progressivement plus important du développement social de l'autre » (Giddens, 1994, p. 24). En somme, la dynamique paradoxale ici en cause et en question est celle du rationalisme constructiviste propre à l’intelligence moderne, et dont « l'un [des] plus graves défauts est la méconnaissance de ses propres limites » (von Hayek, 1990, p.63). C’est donc le fil de ce paradoxe – fondamental, et largement ignoré en tant que tel – que reprend la thèse pour se lancer et pour construire son originalité, son objet principal étant de comprendre l’invisible centralité du personnage de l’ingénieur, et donc les discours institutionnels confus et contradictoires qui en constituent la trace visible. En nous inspirant d’un concept tiré des travaux de l’historienne Hélène Vérin, nous appellerons ce paradoxe : paradoxe de la « forme-problème ». C’est donc Vérin qui nous fournira le néologisme et le contexte socio-historique justifiant sa création – soit celui de la naissance de l’ingénierie moderne –, alors qu’Ulrich Beck, Jean-Pierre Dupuy et Martin Heidegger permettront d’en concevoir les termes initiaux et la portée. Ainsi, bien que ce paradoxe fondamental n’ait en soi rien de neuf ou qu’il s’étende largement au-delà (et profondément en deçà) des institutions contemporaines de l’ingénierie, j’avancerai dans cette thèse que les « crises » actuelles des professions d’ingénieur permettent non seulement d’en éclairer les termes initiaux (jusqu’ici largement occultés), mais aussi d’en comprendre les limites : soit celles des modalités dominantes de la résolution de problème en ingénierie, en management, et bien au-delà. À partir de ce néologisme fort éclairant, un modèle conceptuel pourra être développé, lequel permettra d’avancer que, si le paradoxe de l’invisible centralité du personnage de l’ingénieur continue à ce jour de passer inaperçu, c’est parce qu’en dépit des apparences d’anecdote ou d’idosyncratie qu’il revêt, celui-ci incarne et relève d’un processus de symbolisation fondamental chez les modernes, lequel sous-tend sans doute l’ensemble et toutes les facettes de la vie que nous connaissons aujourd’hui, au sein des cultures occidentales et occidentalisées. Suivant ledit modèle de la « forme-problème », le paradoxe fondamental sera donc conçu comme présidant à la circulation et aux blocages du sens en modernité : c’est-à-dire qu’il sera conçu comme ayant permis (et permettant à ce jour) d’opérer en continu la troncation d’avec la tradition, ou encore « l’importation à l’intérieur de la société du lieu-source de ses significations » (Dumouchel et Dupuy, 1983, p 21). Mais pour le concevoir ainsi, il aura tout d’abord fallu mettre en relation et en tension les catégories de problème et de paradoxe (suivant leur sens commun), c’est-à-dire qu’il aura fallu les découvrir et les construire en tant que termes initiaux implicites du paradoxe de l’« expansion désintégrative » des professions d’ingénieur. Partant, l’intégration paradoxale des catégories de problème et de paradoxe permettra d’« extrapoler » le cas du MIT au paradoxe de l’invisible centralité des professions d’ingénieur, qui lui-même permettra d’ouvrir sur le paradoxe fondamental des modernes. De manière très condensée, c’est donc là le cœur et l’apport propre de la thèse ici proposée. À l’issue de la thèse, la fonction-miroir de l’ingénieur aura clairement été établie : ce qui se passe de nos jours autour de l’ingénierie n’est pas quelque chose qui arrive au personnage de l’ingénieur en soi – c’est-à-dire aux professions institutionnalisées de l’ingénierie –, mais bien quelque chose qui se passe à travers lui, et dont il permet de mieux comprendre la « mécanique » : à savoir, celle des flux et des blocages du sens collectif au sein des sociétés dites modernes. _____________________________________________________________________________ MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : ingénieur, ingénierie, management, paradoxe, invisibilité sociale, résolution de problème, forme-problème, flux et blocages du sens, tradition, modernité

Type: Thèse ou essai doctoral accepté
Informations complémentaires: Fichier numérique reçu et enrichi en format PDF / A.
Directeur de thèse: Reveret, Jean-Pierre
Mots-clés ou Sujets: Ingénieurs / Ingénierie / Gestion / Paradoxe / Résolution de problème / Technologie
Unité d'appartenance: École des sciences de la gestion
Déposé par: Service des bibliothèques
Date de dépôt: 01 nov. 2020 17:43
Dernière modification: 01 oct. 2021 15:48
Adresse URL : http://archipel.uqam.ca/id/eprint/13683

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