Sousa Passos, Carlos José
(2007).
« La consommation de poissons et de fruits en Amazonie : une approche écosystémique à l'étude du rôle de l'alimentation traditionnelle sur la dynamique d'exposition au mercure » Thèse.
Montréal (Québec, Canada), Université du Québec à Montréal, Doctorat en sciences de l'environnement.
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Résumé
En Amazonie, les enjeux entourant la pollution environnementale par le mercure et l'exposition humaine par la consommation de poissons ont fait l'objet d'un très grand nombre de recherches au cours des deux dernières décennies. Malgré cela, les niveaux d'exposition au mercure par voie alimentaire sont toujours très élevés, et de nombreux effets sur la santé ont été rapportés dans la littérature scientifique chez des adultes de même que chez des enfants. Le projet CARUSO dans lequel s'insère la présente recherche, a adopté une approche écosystémique à la pollution du mercure dans le bassin de la rivière Tapajós, un affluent important du fleuve Amazone. C'est dans ce cadre que compte tenu de l'action toxique de ce métal lourd chez les communautés consommatrices de poissons vivant au bord de la rivière, notre groupe de recherche a déployé des efforts pour étudier et proposer des mesures viables permettant la réduction de l'exposition au mercure tout en maintenant la consommation de poissons. Ces derniers constituent non seulement une importante source de protéine animale et d'autres nutriments très importants à la nutrition humaine, mais très souvent ils constituent la seule source de ces nutriments pour ces populations relativement isolées dans la forêt. Suite à une étude exploratoire antérieure suggérant que la consommation de fruits régionaux pourrait réduire l'absorption du mercure chez une communauté riveraine en Amazonie, nous avons mené une large étude épidémiologique et régionale visant à mieux comprendre le rôle des fruits sur la dynamique d'exposition au mercure dans toute la région riveraine du moyen Tapajós. En raison des variations saisonnières dans la disponibilité des fruits et des poissons, cette étude transversale a été réalisée en 2 périodes : pendant les périodes de descente et de montée des eaux. Cette thèse présente les résultats d'un grand nombre d'analyses issues de cette étude. Dans un premier temps, une étude d'observation transversale basée sur une enquête alimentaire pour la consommation de poissons et de fruits a été réalisée auprès de 13 communautés riveraines durant la période de descente des eaux. Des échantillons de cheveux de 449 personnes et des échantillons de sang d'un sous-groupe de 225 personnes ont été collectés afin de déterminer les teneurs en mercure total et inorganique, et ce par la méthode d'Absorption Atomique. En moyenne, les participants ont consommé 6.6 repas de poissons par semaine, et ils ont mangé 11 fruits/semaine. La teneur moyenne en mercure sanguin était 57.1 ± 36.3 μg/L (médiane: 55.1 μg/L), et la teneur moyenne en mercure dans les cheveux était 16.8 ± 10.3 μg/g (médiane: 15.7 μg/g). La consommation de poissons ainsi que la consommation de fruits ont été significativement reliées aux bioindicateurs d'exposition au mercure dans les modèles d'analyse multivariées : pour le sang (poissons: β = 5.6, p < 0.0001; fruits: β = -0.5, p = 0.0011; R2 ajusté = 36.0%) et pour les cheveux (poissons: β = 1.2, p < 0.0001; fruits: β = -0.2, p = 0.0002; R2 ajusté = 21.0%). Des modèles ANCOVA ont montré que pour le même nombre de repas de poissons, les personnes consommant des fruits plus fréquemment présentaient des teneurs en mercure significativement inférieures pour les deux bioindicateurs utilisés. Pour les faibles consommateurs de fruits, chaque repas de poisson augmentait le mercure sanguin de 9.8 μg/L comparé à seulement 3.3 μg/L pour les grands consommateurs de fruits. L'intégration des données de mercure dans les poissons avec les informations issues des questionnaires alimentaires nous a permis de calculer l'apport quotidien en mercure dans cette population, pour ensuite vérifier le possible effet protecteur des fruits contre cet apport quotidien toxique. Cette étude, réalisée à la descente des eaux (Juin), a ciblé les 256 personnes des 6 villages pour lesquels nous avions des données sur les concentrations de mercure dans les poissons de leur écosystème aquatique local. Les quantités de poissons par repas ont été évaluées. De plus, nous avons eu accès aux données sur les concentrations de mercure dans 1,123 spécimens de poissons locaux. L'ingestion quotidienne de mercure (μg/kg/jour) a été estimée pour les hommes et pour les femmes de chaque village à partir des moyennes de concentrations de mercure dans les poissons capturés dans leurs zones de pêche, la quantité moyenne de poissons par repas, la fréquence de consommation des différentes espèces de poissons et le poids corporel des participants. La concentration moyenne de mercure dans les poissons était 0.33) μg/g ± 0.33, et l'ingestion quotidienne de mercure variait entre 0 et 11.8 μg/kg/jour (moyenne: 0.92 μg/kg/jour ± 0.89), et a fluctué selon le genre et le village. Les concentrations moyennes de mercure sanguin et dans les cheveux étaient 60.1 ± 38.4 μg/L et 17.9 ± 11.5 μg/g, respectivement. On observe une forte relation positive entre le mercure sanguin et l'ingestion quotidienne de mercure, avec une relation inverse par rapport à la consommation de fruits et la scolarité des individus. Des variations significatives ont été observées selon le statut d'immigration régionale et entre les différents villages. Le mercure dans les cheveux a été directement associé à l'ingestion quotidienne de mercure .et inversement relié à la scolarité ainsi qu'à la consommation de fruits. La consommation de fruits a été la seule variable qui modifiait la relation entre l'ingestion quotidienne de mercure et les teneurs sanguines du métal : pour une même ingestion quotidienne de mercure, les personnes mangeant plus de fruits ont des concentrations inférieures de mercure sanguin. Ces résultats révèlent des niveaux élevés d'ingestion quotidienne de mercure dépassant les valeurs de référence établies par l'Organisation mondiale de la santé ainsi que d'autres normes d'exposition établies par d'autres agences. Des analyses ultérieures ont cherché à identifier de possibles pistes de recherche sur les voies physiologiques de l'action des fruits. Nous avons donc examiné la relation entre la consommation de poissons et les teneurs en mercure total, inorganique et organique dans le sang et dans l'urine. Une étude transversale a été menée auprès de 171 personnes de sept villages riverains de la région du Tapajós lors de la période de montée des eaux en 2004. Ces personnes n'avaient pas d'histoire d'exposition aux vapeurs de mercure en milieu de travail, et elles ne possédaient pas des amalgames dentaires. Une enquête alimentaire basée sur la fréquence de consommation de poissons et de fruits a été administrée, et des renseignements sociodémographiques ont été cueillis. Des échantillons de sang et d'urine ont été collectés, et les teneurs en mercure total, organique, et inorganique tout comme le mercure urinaire ont été déterminés par Spectrométrie d'Absorption Atomique. En moyenne, les participants ont consommé 7.4 repas de poissons par semaine, et 8.8 fruits par semaine. La teneur moyenne en mercure total dans le sang a été 38.6 ± 21.7 μg/L, et le pourcentage moyen de mercure inorganique sanguin était 13.8%. La valeur moyenne de mercure organique (méthylmercure) a été 33.6 ± 19.4 μg/L, alors que celle de mercure inorganique était 5.0 ± 2.6 μg/L. La teneur moyenne en mercure urinaire était 7.5 ± 6.9 μg/L, avec 19.9% des participants ayant des niveaux de mercure urinaire au-dessus de 10 μg/L. Le mercure inorganique sanguin a été hautement et significativement relié au nombre de repas de poissons carnivores, mais aucune relation n'a été observée avec les poissons non-carnivores. Le mercure inorganique sanguin était aussi négativement relié à la fréquence de consommation de fruits et positivement associé à l'âge. De plus, il variait selon les communautés et était plus élevé parmi les personnes nées dans la région du Tapajós. Le mercure urinaire a également été associé à l'ingestion de poissons carnivores, et il a montré une tendance vers une relation négative avec la consommation de fruits; il était plus élevé chez les hommes que chez les femmes et supérieur parmi les participants natifs de la région. Le mercure urinaire était fortement relié au mercure inorganique et organique et total dans le sang. Le rapport de cotes (OR) pour des teneurs en mercure urinaire supérieures à 10 μg/L chez les participants consommant plus de 4 repas de poissons carnivores par semaine est 4.00 [1.83 - 9.20]. Malgré la relation négative avec le mercure inorganique, la consommation des fruits n'influençait pas la relation entre les divers bioindicateurs de mercure. Les résultats de cette étude appuient une relation directe entre la consommation de poissons et les teneurs en mercure inorganique sanguin et urinaire. La revue exhaustive de la littérature scientifique concernant la pollution environnementale et l'exposition humaine au mercure, tout comme ses effets à la santé des populations traditionnelles amazoniennes au cours de presque deux dernières décennies, montre de manière assez claire que malgré les niveaux d'exposition élevés, la grande majorité des recherches n'ont pas proposé des mesures concrètes et réalistes pour l'atténuation de la charge corporelle du métal chez ces populations. Ce cadre plutôt décevant renforce davantage la pertinence du thème qui a été abordé dans la présente recherche puisque les résultats obtenus se montrent très encourageants et prometteurs du point de vue de leur potentiel en tant que possible outil d'intervention alimentaire. Toutefois, des études ultérieures sont nécessaires pour mieux comprendre les conséquences toxicocinétiques de la consommation des fruits sur le mercure. Un des plus grands défis pour les scientifiques et les gestionnaires en santé publique dans cette région en voie de développement assez accéléré est la réduction de la charge mercurielle et le maintien de la consommation élevée de poissons. Les études cherchant des outils permettant l'atténuation de l'exposition humaine devraient être poursuivies pendant que d'autres mesures s'attaquent aux sources primaires de pollution.
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MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : Poissons, fruits, Amazonie, approche écosystémique, exposition, mercure
Type: |
Thèse ou essai doctoral accepté
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Informations complémentaires: |
La thèse a été numérisée telle que transmise par l'auteur. |
Directeur de thèse: |
Mergler, Donna |
Mots-clés ou Sujets: |
Teneur en mercure / Poisson / Fruit / Santé / Toxicité / Alimentation / Amazonie brésilienne |
Unité d'appartenance: |
Instituts > Institut des sciences de l'environnement (ISE) |
Déposé par: |
Service des bibliothèques
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Date de dépôt: |
12 mai 2017 08:49 |
Dernière modification: |
12 mai 2017 08:49 |
Adresse URL : |
http://archipel.uqam.ca/id/eprint/9690 |