Avatars de l'individualisme : la mode et l'État

Mercier, Lucie (1996). « Avatars de l'individualisme : la mode et l'État » Thèse. Montréal (Québec, Canada), Université du Québec à Montréal, Doctorat en sociologie.

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Résumé

À l'aube de l'an 2000, l'individualisme est une valeur qui domine les représentations sociales. Elle s'applique dans toutes les sphères de la vie sociale. Ce phénomène s'observe à travers les rites quotidiens d'adhésion à la mode. Prétention majeure de l'individualisme, la mode est entrée dans les mœurs. Elle est désormais un mode de vie qu'on doit analyser. Derrière les apparences de frivolité que dissimule ce phénomène, se révèlent des contraintes sociales qui, plutôt que d'évoquer l'expression achevée de la démocratie, comme le soutient Gilles Lipovetsky, ou d'illustrer l'éveil de l'individu contre un collectivisme défaillant, comme le soumet Alain Laurent, reposent sur une économie particulière des relations de pouvoir. Nous démontrons ainsi que l'individualisme narcissique est lié à l'"étatisation" subtile, mais poussée de la société. Notre réflexion critique s'appuiera principalement sur des contributions de Roland Barthes, de Louis Dumont, de Norbert Élias, de Michel Foucault et de Richard Sennett. Elle mettra en examen cette idéologisation faussement positive qu'entretient le mouvement postlibéral. À ce propos, nous expliquons que la mode et l'État sont deux institutions interreliées et ont une influence décisive quant au développement de l'individualisme. Elles sont de ces institutions modernes qui, selon les préceptes évoqués par Louis Dumont, ont pour fonction de conditionner le sujet à l'individualisme. À vrai dire, ce qu'on dénomme la crise des idéologies et des institutions est plutôt lié au phénomène de la recomposition de l'économie des institutions alors que la mode et l'État s'en trouvent consolidés. Contrairement aux institutions traditionnelles, la fonction d'intégration sociale remplie par ces institutions contemporaines ne consiste pas tant à rappeler aux individus les éléments fondamentaux d'une vie sociale vécue sous la forme de collectivité mais qu'à leur signifier qu'ils sont des sujets en voie continue de parachèvement. À ce titre, avec le langage de la libération qu'entretient la mode et celui des droits de l'individu que véhicule l'État par exemple, nous assistons à la conjonction de deux dynamiques porteuses d'un sujet qui, en termes "foucaldiens", est attaché à sa propre identité tout en étant dépendant d'autrui. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l'individualisme est un phénomène d'intégration puisque c'est la société qui fonde les valeurs de l'individu dans un contexte de rapports de force omniprésents. Ainsi, penser ce phénomène et, par extrapolation, la mode consiste à reconnaître que l'individualisme narcissique n'est pas résultante de l'affranchissement de l'individu des cadres sociaux puisqu'il se situe au fondement même de la dialectique de l'individu et de la société. À cet égard, il est crucial de reprendre et de corréler l'ensemble des composantes de toute société dont l'appréhension demeure cruciale pour la théorie sociologique : soit les normes, les règles sociales, les valeurs, les rapports de forces, etc. Bref, des aspects qui traversent et conditionnent toujours l'individu au gré de son évolution. Nous démontrons alors que l'individualisme est le produit d'une société qui assume sa cohésion sociale selon un processus qui ramène constamment l'individu à se préoccuper de soi, de son univers privé, tout en le maintenant dans un contexte d'interdépendance sociale forte. Ce paradoxe est consécutif à une économie de plus en plus complexifiée des rapports sociaux sur laquelle se fondent les règles sociales. Par ailleurs, la mode participe à l'idée moderne de l'immanence de l'individualisme puisque le consommatisme sur lequel elle se fonde devient une manière d'exister. La mode procède ainsi au renforcement de l'habitus bourgeois en inculquant aux classes populaires des significations sur le confort matériel et des vertus à une présentation soignée de soi. En outre, la diffusion massive de cette "culture de la mode" est liée à l'avènement de la société salariale. Il s'agit d'un phénomène auquel ne peut échapper l'État puisqu'il est une structure fondamentale dans le développement du salariat. Ainsi, contrairement à ce que soutient la philosophie politique libérale classique, l'État ne s'oppose pas au libéralisme, il est nécessaire à la "reproduction" et au contrôle social des individus à des fins capitalistes, puisque l'économie et le marché n'assurent pas à eux seuls la régulation des rapports entre "les hommes et les choses". En termes plus précis, le salariat est au cœur de la croissance de l'État-providence et de l'impulsion du keynésianisme parce que cette institution préside à l'organisation sociale. Elle assure un contrôle social diffus qui a pour effet de complexifier les rapports sociaux. L'État structure ainsi des formes de sociabilité multiples entre individus, groupes sociaux et institutions. Pour cela, nous partons du principe que la légitimité démocratique engendre des relations particulières entre gouvernants et gouvernés, d'où découlent des rapports particuliers au pouvoir et à l'ensemble de la société. Nous découvrons que la gouverne politique contemporaine est moins affaire de confrontation que de "gouvernement". Il s'agit d'une fonction de contrôle social désormais de plus en plus subtile, passant de l'État de "bien-être" à celui de "droit". Depuis, l'individu est soumis à une forme de contrôle social étatique qui, en termes "foucaldiens", transforme l'individu en sujet politique. De plus, l'individu moderne appelé à conquérir sa propre identité se confronte au paradoxe d'une convivialité "moderne" qui fait appel à l'identité personnelle et d'un processus de socialisation dans des univers à multiples tendances menant à une socialité aléatoire. Dès lors, l'individu est constamment partagé entre les droits qui lui sont reconnus socialement et la consolidation de son identité. C'est ainsi que l'individualisme narcissique à travers la mode est une propriété du processus de caractérisation des institutions et des comportements sociaux normalement attendus et exigés dans notre société.

Type: Thèse ou essai doctoral accepté
Informations complémentaires: La thèse a été numérisée telle que transmise par l'auteur.
Directeur de thèse: Rafie, Marcel
Mots-clés ou Sujets: État / Individualisme / Mode / Représentation sociale / Société
Unité d'appartenance: Faculté des sciences humaines > Département de sociologie
Déposé par: Service des bibliothèques
Date de dépôt: 13 avr. 2017 11:01
Dernière modification: 13 avr. 2017 11:01
Adresse URL : http://archipel.uqam.ca/id/eprint/9569

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