La société paroissiale en milieu urbain : Saint-Pierre-Apôtre de Montréal, 1848-1930

Ferretti, Lucia (1990). « La société paroissiale en milieu urbain : Saint-Pierre-Apôtre de Montréal, 1848-1930 » Thèse. Montréal (Québec, Canada), Université du Québec à Montréal, Doctorat en histoire.

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Résumé

Une longue et riche réflexion, nourrie des observations d'autodidactes éclairés, du questionnement et des enquêtes des sociologues et des historiens, stimule depuis presque cent ans un des plus vieux débats de notre production intellectuelle et savante : le Québec d'avant la crise des années 1930, et particulièrement le Québec urbain, est-il encore une société traditionnelle ou déjà une société moderne? Cette thèse ne prétend ni épuiser ce débat, ni même le grossir d'une autre interprétation globale. Elle a voulu simplement attirer l'attention sur quelques aspects de la question d'autant plus curieusement négligés qu'ils sont pourtant incontournables. Elle s'est donc intéressée au rôle de la paroisse dans la ville, à la nature et à l'évolution de la vie paroissiale en milieu urbain depuis les prémisses de la révolution industrielle jusqu'au plein épanouissement de la ville industrielle. Et elle l'a fait à travers l'étude d'un cas concret, celui de la paroisse Saint-Pierre-Apôtre de Montréal, entre 1848 et 1930. L'hypothèse fondamentale est que les autorités diocésaines, les pasteurs oblats et les Saint-Pierrais ont su jusqu'à la première guerre mondiale environ faire de Saint-Pierre le cadre, le moteur et l'instrument tout ensemble d'une vie sociale résolument moderne (d'une modernité toujours provisoire), en prise réelle et large sur un milieu urbain en mutation que la paroisse contribue même, pour une part, à façonner. Ce n'est qu'à partir des années 1910 puis à la faveur du conflit mondial que s'érode cette plénitude de la signification sociale de la paroisse, qui prend dès lors l'aspect plus rétracté d'une communauté de foi. Alors que la ville connaît une nouvelle recrudescence de développement, qui achève de faire éclater la cohésion des quartiers et la pertinence des institutions strictement locales, la paroisse, emprisonnée dans ses limites territoriales, apparaît de moins en moins, aux yeux d'urbains mieux ancrés, aux yeux d'organismes civils et même à ceux des administrateurs diocésains, comme la médiation la plus adéquate entre Église et fidèles-citadins, entre eux et la ville. Lorsque les Oblats s'installent en 1848 dans ce qu'on appelle alors le faubourg Québec, ses habitants vivent pratiquement sans encadrement socio-religieux. Cette population croyante qui se sent délaissée, cette population simple heurtée par le rigorisme sulpicien, cette population relativement pauvre qui vit à l'écart de la cité et de ses institutions et s'en sait méprisée, attend beaucoup de Saint-Pierre et des Oblats. Mais ceux-ci, à leur tour, espèrent beaucoup du faubourg. Leur ambition apostolique, l'esprit de leurs Règles, leur formation missionnaire mais aussi les circonstances de leur établissement à Montréal, dominées par la rivalité qui les oppose aux Sulpiciens, tout les pousse à vouloir faire de Saint-Pierre une chrétienté modèle, projet qui reçoit, du reste, l'aval et le support entier de monseigneur Bourget. Ainsi, dès les débuts, un faisceau de circonstances conduit les missionnaires à assumer à Saint-Pierre un ministère non seulement religieux mais aussi bien social, bref un ministère quasi-paroissial, qui sera confirmé en 1900, date de l'érection de la chapelle oblate en paroisse. Paroisse sans en avoir le titre, Saint-Pierre-Apôtre nous offre une occasion rare de nous approcher de la vie sociale montréalaise au milieu du XIXe siècle, à une époque où tout commence à changer toujours plus rapidement et où se redéfinissent les rapports entre centre et faubourgs. Jusque dans les années 1840, le faubourg Québec était peuplé essentiellement de vieilles familles établies là depuis la fin du XVIIIe siècle, et d'artisans ou de travailleurs trop peu fortunés pour aménager dans les quartiers du centre. En 1870 encore, les circonscriptions municipales de Saint-Jacques et dans une moindre mesure Sainte-Marie conservent un aspect artisanal et entretiennent avec le reste de la ville des liens somme toute assez lâches. Durant ces trente années, pourtant, des milliers de ruraux s'y installent ou y passent, faisant de l'est de Montréal leur porte d'entrée dans un nouveau monde urbain qu'ils sont venus, à la fois, rejoindre et créer. Pour cette période initiale, nous pouvons analyser à partir de Saint-Pierre le rapport à la ville des anciens et des nouveaux résidents du faubourg, les relations sociales entre ces deux groupes de citadins, le désir commun qu'ils nourrissent d'intégration symbolique à la ville, et qu'ils entreprennent de réaliser par une participation massive à la vie religieuse, analyser aussi le surcroît de différenciation sociale qu'introduit la présence des Oblats parmi eux, les aspirations de prestige, de notabilité et d'urbanité qui habitent artisans et commerçants du faubourg. Entre 1848 et 1930, mais de manière particulièrement décisive entre 1870 et 1914, Saint-Pierre doit encore remplir presque seule des mandats considérables. Sur le plan religieux, elle doit assurer la subsistance de ses pasteurs, l'entretien et l'ornementation de son temple. Sur le plan social, c'est à elle que revient la tâche d'atténuer les problèmes qui s'accusent au centre-ville, en cette époque d'urbanisation et d'industrialisation accélérées : pauvreté, défaut d'instruction, maladie. Lui revient, surtout, de favoriser l'adaptation à la ville des milliers de migrants ruraux qui grossissent chaque année la métropole et de consolider les attaches des plus anciens; à Saint-Pierre, loisirs et associations diverses concourent tous, au-delà des objectifs spécifiques variés qu'ils poursuivent, à faire connaître la paroisse, à en faire un milieu de vie, même temporaire, et à familiariser ainsi entre 1870 et 1914 leurs milliers de participants et de membres, leurs centaines d'organisateurs et de dignitaires avec les rouages de la vie urbaine moderne. Bien qu'ils restent toujours contrôlés ou au moins supervisés par les missionnaires, bien qu'ils répondent aussi au souci proprement clérical d'augmenter la dévotion et l'encadrement des fidèles et les recettes de la paroisse, bien qu'ils rencontrent à l'occasion, enfin, des difficultés et soient source de frictions, associations laïques et loisirs paroissiaux constituent dans les faits un des rares outils collectifs dont dispose cette population sans pouvoir, tant pour consolider son récent ancrage urbain et manifester sa présence dans la ville que pour agir sur son propre destin et jouer un certain rôle dans l'organisation de la société urbaine moderne. A côté des nouvelles institutions de solidarité issues du monde industriel, les organisations et les œuvres paroissiales témoignent d'une vitalité et d'une popularité qui en font le véritable fondement d'une dynamique sociale urbaine alors basée sur les relations locales. Après la première guerre, enfin, le mouvement d'éclatement de la relative intégrité des espaces montréalais, amorcé dès le dernier tiers du XIXe siècle, cumule ses effets dans Saint-Pierre. La paroisse, désormais au centre-ville, est comme une plaine balayée par tous les vents urbains : les étroites frontières qui l'encarcanent ne sont plus que de simples limites administratives sans signification économique ni sociale. En déclin démographique et en voie d'appauvrissement rapide, la paroisse achoppe de plus en plus sur ses insuffisances, et ne remplit plus aussi adéquatement qu'auparavant les mandats sociaux qui étaient les siens. Les loisirs sont plus souvent boudés, le financement des œuvres décline, les associations périclitent. En outre la première guerre mondiale marque dans plusieurs domaines la réorganisation sur une base supra-paroissiale de plusieurs fonctions sociales autrefois assumées à l'échelle locale. Il nous a semblé que la force et la spécificité d'une dynamique sociale urbaine basée sur d'intenses relations paroissiales seraient d'autant mieux appréhendées pour la période de son apogée, entre 1870 et 1914, qu'on aurait évoqué aussi les débuts de cette érosion du rôle de médiation joué par la paroisse entre la ville et les fidèles-citadins, mais non encore entre eux et l'Église, à une époque où la vitalité religieuse reste entière. Au terme de cette thèse, on peut prétendre que l'Église montréalaise, par le biais de la paroisse, a contribué activement, avec d'autres institutions d'emblée considérées comme plus "modernes", à façonner l'identité urbaine des Canadiens-Français, leurs rapports sociaux et leur rapport à la ville, à l'époque de l'émergence puis de la consolidation d'une société québécoise industrielle et urbaine.

Type: Thèse ou essai doctoral accepté
Informations complémentaires: La thèse a été numérisée telle que transmise par l'auteur.
Directeur de thèse: Bernard, Jean-Paul
Mots-clés ou Sujets: Paroisse Saint-Pierre-Apôtre (Montréal Québec), 1850-1899, 1900-1949, Histoire, Milieu urbain, Paroisse urbaine, Société, Vie urbaine, Montréal (Québec)
Unité d'appartenance: Faculté des sciences humaines > Département d'histoire
Déposé par: Service des bibliothèques
Date de dépôt: 26 janv. 2015 19:18
Dernière modification: 26 janv. 2015 19:18
Adresse URL : http://archipel.uqam.ca/id/eprint/6635

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