Beaudoin, Daphné
(2024).
« Lex protector : une nouvelle méthode interprétative? » Mémoire.
Montréal (Québec, Canada), Université du Québec à Montréal, Maîtrise en droit.
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Résumé
Comme système juridique en évolution, le droit international comporte une caractéristique fondamentale : l’augmentation des normes. L’accélération de la création normative est un phénomène qui a été accentué par les besoins de l’époque contemporaine et, en particulier, de dynamiques sociales, économiques et culturelles toujours plus connectées les unes aux autres. Ces besoins nouveaux et interreliés exigent plus que jamais un système juridique capable de s’adapter et d’évoluer. Afin de répondre à ces exigences, il a été introduit de nouvelles normes, de plus en plus spécifiques afin de correspondre aux réalités contemporaines. Ces dernières forment une toile juridique, plus dense avec l’évolution du temps, et où les normes entretiennent des liens plus ou moins forts entre elles dépendamment des spécificités et contextes d’application pour lesquelles elles ont été élaborées. Or, se profilant à l’horizon, un problème menace l’avenir du droit international. Résultant de ces développements, certaines problématiques de compatibilité de l’effet conjoint de ces normes posent aujourd’hui des enjeux. Il s’agit là d’un problème technico-juridique où les conséquences de l’application de certaines normes pourraient aller à l’encontre des objectifs de d’autres. Ce problème potentiel prend toujours plus d’ampleur et l’on tente déjà d’y faire face à l’intérieur du droit international. En effet, certaines méthodes de résolution des problèmes de coexistence normative existent, telles que l’appel aux maximes d’interprétation de la lex posterior (la loi la plus récente prime) ou la lex specialis (la loi la plus spécifique prime). Toutes deux comportent néanmoins des faiblesses importantes à nos yeux. Si l’on se penche sur l’étude de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, et plus spécifiquement les articles 30, 31 et 32, qui concernent les règles d’interprétation des traités, il en ressort, à notre avis, une prépondérance accordée au respect de l’objet et du but du traité. L’objectif de ce mémoire est de montrer, en conformité avec une approche téléologique, que la recherche de l’objet et du but permettrait de servir d’assise à la quête d’une nouvelle méthode de résolution des conflits de normes. Afin d’illustrer la pertinence que pourrait avoir une telle méthode lors de concurrence normative, l’exemple choisi sera celui des concurrences normatives entre les règles de droit international humanitaire (ci-après DIH) et de droit international des réfugiés (ci-après DIR). Après avoir brièvement illustré les défis que comportent ces régimes et en quoi les méthodes de la lex posterior et de la lex specialis sont inadaptées, l’argument explore les ramifications profondes des normes composant les régimes à l’étude (spécifiquement DIH et DIR) afin de recadrer la nature et les paramètres du conflit normatif. Dans un premier temps, une analyse de ce que nous appellerons ici la famille des droits de l’Homme permet de saisir une convergence spécifique dans le système juridique international en termes substantifs. Dans un deuxième temps, les régimes de DIH et de DIR sont plus longuement analysés, afin de comprendre leurs particularités propres. Il en ressort un intérêt marqué pour la protection de l’individu, qui transcende les particularités des deux régimes. La circonscription de cet intérêt servira de base pour l’affirmation d’un but commun au méta-régime de la famille des droits de l’homme et permet d’assoir la validité d’une approche dite pro homine lors d’interactions normatives entre des règles de différents régimes ayant pour but la protection de la personne humaine. L’usage fait par les différents tribunaux de l’approche pro homine est ensuite analysé afin de saisir avec davantage de justesse la pertinence de son utilisation. Il en découle une méthode claire, la lex protector, dérivée de l’articulation d’un objet et but communs aux régimes protecteurs, qui serait la méthode la plus adaptée dans ce cas particulier de conflit normatif. L’on observe comment cette méthode peut venir répondre aux lacunes d’application dans le cas de personnes protégées par ces régimes (DIR et DIH). En conclusion, l’émergence de l’interprétation pro homine en droit international laisse entrevoir la plausibilité d’une base morale transcendant les particularités formelles et institutionnelles du système juridique international en matière de droit de l’Homme. Certaines relations fortes de buts communs entre les régimes pourraient être des prémisses à une hiérarchisation plus large du droit international et permettre de poursuivre la réflexion de la place de l’humanité en droit international public.
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MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : Lex protector, pro homine, conflit normatif