Être chauffeur-livreur Uber au Québec : enjeux relationnels du travail médié par les algorithmes

Enel, Lucie (2024). « Être chauffeur-livreur Uber au Québec : enjeux relationnels du travail médié par les algorithmes » Thèse. Montréal (Québec, Canada), Université du Québec à Montréal, Doctorat en communication.

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Résumé

Le travail de plateforme transforme fondamentalement les manières de faire, d’organiser et de penser le travail, particulièrement dans sa dimension collective. En nous concentrant sur les pratiques de travail des chauffeurs et livreurs Uber du Québec, nous explorons en détail leurs usages de l’application ainsi que leurs pratiques de travail et de socialisation. Cette thèse vise à saisir concrètement les enjeux que soulève le travail médié par les algorithmes en termes de pouvoir d’agir individuel et collectif, et à cerner les enjeux de santé qui y sont associés. À cette fin, nous nous appuyons sur un cadre conceptuel multidisciplinaire au croisement de la communication humaine, de la sociologie des usages, de la sociologie du travail et de l’ergonomie française. Notre recherche repose sur une étude ethnographique en ligne, une enquête documentaire et des entretiens semi-dirigés avec 24 chauffeurs et livreurs Uber du Québec. Elle poursuit trois objectifs principaux : (1) établir les profils distincts de ces travailleurs, (2) documenter leurs usages de l’application et leurs pratiques de travail et de socialisation, et (3) comprendre ce que ces usages et pratiques révèlent en termes de pouvoir d’agir et, plus largement, de santé au travail. À partir d’une approche communicationnelle, nous portons une attention particulière à ce qui se passe "entre" les individus, en considérant les relations comme un objet d'étude en soi. Nos résultats révèlent une mosaïque de profils parmi les chauffeurs et livreurs du Québec, démontrant ainsi l'hétérogénéité et la multiplicité des types de travailleurs impliqués dans cette activité. Ce large éventail de profils souligne d'importantes inégalités dans la relation des travailleurs avec le dispositif Uber, la même organisation du travail ayant des conséquences différentes selon le niveau de dépendance financière à l'activité. L'examen de l'activité de ces chauffeurs et livreurs met en évidence un décalage significatif entre le discours de flexibilité et d'autonomie promu par Uber et les pratiques de travail réelles. Le phénomène d'hyperconnectivité à l'application, les longues heures de travail souvent interrompues, la gamification du travail par Uber et le choix périlleux des courses dans une offre conditionnée par l'opacité algorithmique indiquent plutôt une liberté fortement contrainte. Nos résultats révèlent ainsi un faible pouvoir d'agir individuel chez les travailleurs Uber, conditionné en outre par leur position socioéconomique, leur niveau d'éducation et leur niveau de dépendance financière à la plateforme. Notre étude souligne également une activité intrinsèquement solitaire, qui pousse les travailleurs à se définir exclusivement par rapport à eux-mêmes, inhibant toute dynamique collective et sentiment d'appartenance. En occupant une part considérable de la vie de certains, l’activité pour Uber entrave également la socialisation hors travail. En l'absence de possibilités de rassemblement et de dialogue qui permettraient de faire du travail un objet de réflexion pour les chauffeurs et livreurs, ceux-ci sont privés de l'occasion de développer une réflexivité collective critique sur leur activité. Au contraire, la nature paradoxale de l'organisation du travail d'Uber les pousse à percevoir le collectif comme une menace, et à entretenir une attitude globalement négative envers la mobilisation, entraînant une absence totale de pouvoir d'agir collectif. Cela a des répercussions sur la santé au travail ; en détournant le sens du collectif – le faisant passer pour un obstacle au travail plutôt que comme une ressource – le modèle Uber empêche de mettre en mots les contradictions ressenties par les travailleurs. L'intériorisation des contraintes conduit ces derniers à éprouver d'importants phénomènes de dissonance cognitive et à déployer divers mécanismes défensifs pour y faire face. Cette organisation paradoxante amène les travailleurs les plus investis dans l’activité à douter d'eux-mêmes, voire à vivre des formes d'altération de soi plus ou moins prononcées. Si les modalités d’exercice de l’activité apparaissent diversifiées, le travail pour Uber génère des risques pour la santé chez tous les profils de chauffeurs et livreurs, allant jusqu’à des risques avérés d’isolement social et d’épuisement professionnel pour ceux qui dépendent entièrement de cette source de revenus. _____________________________________________________________________________ MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : Uber ; plateformisation ; médiation algorithmique ; pouvoir d’agir ; enjeux relationnels ; santé au travail

Type: Thèse ou essai doctoral accepté
Informations complémentaires: Fichier numérique reçu et enrichi en format PDF/A.
Directeur de thèse: Millerand, Florence
Mots-clés ou Sujets: Plateformes numériques de travail / Gestion algorithmique du travail / Autonomisation des employés / Relations sociales / Travailleurs indépendants / Santé au travail / Uber / Québec (Province)
Unité d'appartenance: Faculté de communication
Déposé par: Service des bibliothèques
Date de dépôt: 31 juill. 2024 15:09
Dernière modification: 31 juill. 2024 15:09
Adresse URL : http://archipel.uqam.ca/id/eprint/17877

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