Bouche-Florin, Athénaïs
(2023).
« Exploration de la transition à la paternité à partir du discours des pères et des mères et des interactions père-mère-bébé : conceptualisation de la sensibilité paternelle périnatale » Thèse.
Montréal (Québec, Canada), Université du Québec à Montréal, Doctorat en psychologie.
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Résumé
Dès le XXe siècle, l’identité des pères et le rôle qu’ils occupent auprès de leur famille se sont profondément transformés. L’évolution vers une paternité de proximité s’est engagée : les pères d’aujourd’hui sont présents auprès de leur enfant dès la naissance et parfois même dès la grossesse. Les politiques périnatales prennent ainsi de plus en plus en compte le bien-être du père et les écrits scientifiques et cliniques s’intéressent au vécu des hommes lors du passage à la paternité. Plus particulièrement, depuis les années 1950, chercheur·e·s et clinicien·ne·s reconnaissent chez les pères l’existence d’une sensibilité dirigée vers l’enfant. Cependant, cette sensibilité paternelle n’a jamais été explorée en période périnatale ni envisagée autrement que sous l’angle d’une sensibilité maternelle, considérée comme unique modèle de sensibilité parentale. Une sensibilité spécifique existe-t-elle chez les pères ? Partant de ce questionnement, cette recherche doctorale propose d’explorer, de décrire et de conceptualiser le phénomène de la rencontre et de la relation père-bébé, sous l’angle intrapsychique de l’homme qui devient père et sous l’angle intersubjectif des relations père-mère-bébé, afin de saisir ce qu’il en est d’une sensibilité paternelle spécifique en période périnatale. Puisque cette étude est novatrice, une démarche inductive a guidé le processus de la recherche. Cette recherche doctorale s’inscrit dans une plus large recherche qui vise à proposer une théorie du passage à la paternité (Noël, 2015) et utilise ainsi une partie des données d’entrevues recueillies. Cinq couples hétérosexuels primipares âgés de 27 à 37 ans ont été interrogés, pères et mères séparément, à l’aide d’entretiens semi-dirigés à chaque trimestre de la grossesse (T1, T2, T3) et à un mois de l’enfant (T4). Spécifiquement pour cette recherche doctorale, un temps d’observation libre (E. Bick) et d’observation standardisée (LTP) des interactions père-mère-bébé a été proposé à deux familles aux 6 mois du bébé (T5). Dans une démarche compréhensive inspirée de la MTE (méthodologie de la théorisation enracinée ou grounded theory), une analyse thématique puis par catégories conceptualisantes (Paillé et Mucchielli, 2012) des données recueillies auprès des douze participants (40 entrevues et 4 observations), ont permis de proposer une conceptualisation de la construction de la relation père-bébé et de ses spécificités. À l’étape de modélisation, le recours à la théorie psychanalytique a nourri les interprétations proposées. Cette recherche a ainsi mis au jour différents enjeux rencontrés par les cinq pères de cette étude lors de la transition à la paternité : ces pères semblent devoir apprivoiser leur identité paternelle, tout en gérant leur frustration d’occuper une place périphérique à la dyade mère-bébé pendant la grossesse et dans l’immédiat postpartum. Les analyses ont mis en évidence une ambivalence des pères dès la grossesse, révélant une pulsion agressive, non seulement envers les mères enviées pour la place centrale qu’elles occupent auprès du bébé, mais également envers le bébé qui occupe une place centrale pour sa mère et qui impose une priorisation de ses besoins à la naissance. Cette pulsion agressive s’élabore de façon constructive par les pères au service du lien père-bébé : grâce à un mécanisme de formation réactionnelle, elle apparait transformée en désir de protection de la dyade mère-bébé pendant la grossesse et du bébé quelques semaines après la naissance. Le concept de « préoccupation paternelle primaire » est proposé pour rendre compte de l’état psychique particulier des pères envers la mère et le bébé, leur permettant de s’ajuster avec une sensibilité empathique à leurs besoins. Cet état résulterait de l’élaboration psychique des enjeux paternels périnataux. Aux six mois de l’enfant, l’ambivalence des pères envers le bébé apparait toujours présente, mais les pères semblent gérer différemment leur agressivité en la sublimant dans le contact ludique et dynamique qu’ils proposent au bébé. Ils prennent alors un rôle de subjectivation pour le bébé, auprès duquel ils se positionnent comme un alter ego. Des précurseurs de ce rôle sont repérables dès la grossesse et au un mois de l’enfant. Le concept de « sensibilité paternelle postnatale suffisante » est proposé pour rendre compte de l’état psychique particulier des pères en période postnatale, leur permettant de s’ajuster suffisamment au bébé, mais pas trop, tenant compte ainsi de leur propre désir. Cet état résulterait de l’élaboration psychique des enjeux paternels postnataux. Ainsi, ces conceptualisations de la « sensibilité paternelle périnatale » proposent une perspective constructive de l’ambivalence des pères en période périnatale, dans laquelle l’agressivité transformée semble être l’une des racines fondatrices de cette sensibilité spécifique. Enfin, cette étude a également permis de mettre au jour les spécificités de la relation père-bébé en période périnatale : elle se déploie sur le mode de l’activation du bébé par le père, modalité dont les précurseurs sont repérables dès la période prénatale. Le père constitue ainsi une figure principale et attractive pour son enfant dès la grossesse. Cette recherche est novatrice en ce qu’elle permet de repérer des enjeux périnataux communs et spécifiques aux pères, au service de leur adaptation à leur nouvelle identité paternelle et au service de la relation père-bébé. Pour la première fois, une sensibilité paternelle spécifique est conceptualisée en période périnatale grâce à une recherche empirique dont la méthodologie est qualitative et longitudinale. Des recommandations cliniques et méthodologiques alimentent la réflexion sur l’accompagnement périnatal des pères et des couples et sur les pistes de recherches futures.
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MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : paternité, sensibilité paternelle, relation père-bébé, méthodologie qualitative, périnatalité