Pigeon-Gagné, Émilie
(2021).
« « Même s'ils sont guéris, on dit qu'ils sont des fous » : une étude ethnographique sur la stigmatisation des troubles de santé mentale dans la ville de Bobo-Dioulasso » Thèse.
Montréal (Québec, Canada), Université du Québec à Montréal, Doctorat en psychologie.
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Résumé
En Afrique subsaharienne, les gouvernements étant aux prises avec des préoccupations de santé publique jugées urgentes et graves – telles que les maladies infectieuses, la mortalité maternelle et infantile ou la malnutrition – ne considèrent que très rarement la santé mentale comme un champ d’action prioritaire. Dans l’ensemble de la région subsaharienne, cela se traduit – entre autres – par un nombre insuffisant de structures sanitaires offrant des soins psychiatriques ainsi que par l’absence de bases de données nationales regroupant des indicateurs quant à l’épidémiologie et aux besoins des populations en matière de santé mentale. Au Burkina Faso, comme dans d’autres pays ouest-africains, il a été documenté de façon non officielle que les gens ayant des troubles de santé mentale sont fortement stigmatisés, menant certains à se retrouver en situation d’errance et de mendicité dans les centres urbains. Nous n’avons toutefois recensé aucun travail de recherche portant spécifiquement sur ce phénomène au Burkina Faso, ce qui limite la compréhension actuelle des facteurs contribuant à la stigmatisation des personnes aux prises avec des difficultés de santé mentale. Or, les études menées dans d’autres pays de la région confirment l’ampleur de ce phénomène ainsi que la variabilité dans son expression d’un contexte à l’autre. La stigmatisation des troubles de santé mentale est un phénomène qui attire l’attention de la communauté scientifique depuis plusieurs décennies. La sociologie étant la première discipline à en avoir posé les fondements et ce, en portant une attention particulière aux concepts de normes et de sanctions sociales. Les écrits provenant de cette discipline ont permis d’identifier que ce processus implique les attributs spécifiques à l’expression des troubles de santé mentale (Goffman, 1963), les étiquettes apposées sur ces attributs (Scheff, 1999) et les institutions de soins (Goffman, 1961; Foucault, 1972, 1975). Un examen de la littérature scientifique révèle qu’en plus des élaborations théoriques proposées en sociologie, la psychologie a également cerné certains concepts permettant d’explorer ce phénomène. Il s’agit principalement des concepts de stigma social et de stigma intériorisé pour lesquels des composantes cognitives, affectives et comportementales sont largement décrites, ainsi que du concept de stigma structurel élaboré plus récemment (Corrigan, 2005, Thornicroft et al., 2008). Puisque dans le cadre de cette thèse, nous nous intéressions au phénomène de la stigmatisation tel qu’il se manifeste dans un contexte culturel nous étant étranger, nous nous sommes également intéressés à dégager les concepts théoriques élaborés en anthropologie. Nous avons identifié la notion de modèles explicatifs de la maladie (Kleinman, 1977) et nous avons ainsi développé une approche multidisciplinaire – jumelant les perspectives sociologiques, psychologiques et anthropologiques – permettant d’appréhender le phénomène de la stigmatisation et ses répercussions. Nous nous sommes intéressés à la manière dont sont exprimés, perçus et compris les troubles de santé mentale au Burkina Faso, sujet demeurant inexploré à ce jour. Il nous semblait qu’en comblant le manque d’informations disponibles à ce propos, notre étude apporterait un éclairage sur les dynamiques d’exclusion et la possibilité de prise en charge des individus stigmatisés. L’objectif de cette étude exploratoire était donc de mieux comprendre le phénomène de la stigmatisation tel que celui-ci se déploie en milieu urbain burkinabè en portant notre attention sur les représentations sociales des troubles de santé mentale, aux barrières d’accès aux soins et aux aspects des troubles de santé mentale associés à un stigma dans la communauté. Pour répondre à ces objectifs, un devis ethnographique dans lequel nous avons effectué deux séjours de terrain dans la ville de Bobo-Dioulasso a été privilégié. Dans le cadre des terrains de recherche, nous avons intégré – à titre d’observatrice participante – un hôpital psychiatrique, un organisme caritatif religieux offrant un hébergement et des soins de base aux personnes identifiées comme ayant un trouble de santé mentale et laissées à elles-mêmes, ainsi qu’une association de thérapeutes traditionnels. Nous nous sommes donc insérés au sein de différents univers thérapeutiques où nous avons eu des interactions régulières avec des personnes souffrant de troubles de santé mentale, des membres de leur entourage direct, des soignants ainsi qu’une variété d’informateurs clés. En plus des notes d’observation quotidiennes, nous avons mené un total de sept groupes de discussion et de 25 entretiens individuels afin de questionner une variété d’acteurs ayant eux-mêmes des difficultés de santé mentale ou ayant une implication – directe ou indirecte – dans l’accompagnement ou la prise en charge de personnes souffrant de troubles de santé mentale. Les données obtenues ont d’abord été soumises à une analyse thématique (Paillé et Mucchielli, 2016), puis à une analyse selon les éléments de notre cadre théorique en fonction des différents sous-objectifs. Nos résultats révèlent que les conceptions populaires des troubles mentaux ainsi que les multiples représentations des systèmes de soins peuvent être mises en lien avec le type de stigmatisation dont sont victimes certains individus. Nous avons été en mesure d’identifier deux entités nosologiques populaires : la « maladie mentale » (koungolobana) et la « folie » (fatoya). La seconde – associée à des actes transgressifs et répréhensibles – était considérée comme une condition devant être punie et justifiant la stigmatisation des individus y étant identifiés. Aussi, nous avons pu identifier que les systèmes de soins professionnels (hôpital psychiatrique), traditionnels (lieux de cultes ou consultation de guérisseurs traditionnels) et informels (domicile et communauté) étaient reconnus comme les ressources à consulter par une personne souffrant d’un trouble de santé mentale. Chacun de ces systèmes de soins était associé à des barrières lui étant propres, le système informel étant identifié comme le lieu principal assurant l’offre de soins et l’accompagnement des malades. Nos analyses révèlent également qu’un ensemble de stéréotypes négatifs étaient socialement véhiculés concernant les personnes souffrant de troubles de santé mentale. Dans cette étude, les deux stéréotypes les plus communs étaient la perception que ces personnes sont dangereuses et la perception qu’elles sont responsables de leur condition. Ces stéréotypes ont pu être mis en relation avec un ensemble de réactions affectives (p. ex., honte, peur) justifiant l’adoption des comportements discriminatoires et exclusifs variés (p. ex., abus physique et sexuels, bannissement, confinement), et ce de manière différente d’un système de soin à l’autre. Nos résultats sont discutés en portant une attention particulière à la signification des attributs stigmatisés en fonction des normes sociales et des traditions en place ainsi que du mouvement d’urbanisation observé depuis quelques décennies en Afrique subsaharienne. En tenant compte de l’ensemble des éléments contextuels et culturels spécifiques au Burkina Faso, nous proposons une réflexion sur les facteurs influençant les itinéraires thérapeutiques des personnes souffrant de troubles de santé mentale et les barrières à la recherche d’aide. Nous élaborons notre réflexion en tenant compte des différentes composantes du stigma telles que nous avons eu l’occasion de les observer. Plus précisément, nous apportons une réflexion critique sur les composantes affectives, comportementales et structurelles du phénomène de la stigmatisation en replaçant celles-ci dans un contexte social, politique et historique plus large. Cela nous amène à distinguer trois fonctions distinctes du phénomène de la stigmatisation : une fonction adaptative, une fonction punitive et une fonction sécuritaire. Les caractéristiques et les logiques de ces trois fonctions sont exposées, nous permettant de proposer une compréhension intégrative de l’ensemble de nos résultats. Cette thèse se conclut par une synthèse et une critique des programmes anti-stigma tels qu’actuellement implantés en Afrique subsaharienne. Pour ce faire, nous explorons les fondements empiriques ainsi que les logiques sous-jacentes à ces programmes que nous faisons entrer en dialogue avec nos principaux résultats. Cela nous amène à proposer une approche alternative au développement et à l’implantation de programmes culturellement sensibles dans la région et plus spécifiquement au Burkina Faso.
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MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : santé mentale mondiale, psychologie, stigmatisation, représentations sociales, barrières d’accès aux soins, ethnographie.
Type: |
Thèse ou essai doctoral accepté
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Informations complémentaires: |
Fichier numérique reçu et enrichi en format PDF / A. |
Directeur de thèse: |
Hassan, Ghayda |
Mots-clés ou Sujets: |
Maladies mentales / Burkina Faso / Personnes vivant avec un trouble de santé mentale / Stigmatisation / Exclusion sociale / Représentations sociales / Soins de santé mentale -- Accessibilité |
Unité d'appartenance: |
Faculté des sciences humaines > Département de psychologie |
Déposé par: |
Service des bibliothèques
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Date de dépôt: |
15 oct. 2021 11:57 |
Dernière modification: |
15 oct. 2021 11:57 |
Adresse URL : |
http://archipel.uqam.ca/id/eprint/14718 |