Lupien Chénier, Catherine
(2020).
« Pour une ambiguïté de l'excès. Lecture phénoménologique féministe du rapport au corps dans le récit de l'existence de femmes à morphologie pléthorique » Thèse.
Montréal (Québec, Canada), Université du Québec à Montréal, Doctorat en psychologie.
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Résumé
Cette thèse s’inscrit dans une tradition humaniste-existentielle en psychologie et prend principalement appui dans un corpus d’écrits philosophiques et scientifiques s’intéressant aux questions du corps, du poids et de la santé de femmes en Occident, particulièrement en Amérique du Nord. Grâce à une lecture phénoménologique- féministe du rapport au corps dans le récit de l’existence de cinq femmes à morphologie pléthorique, elle visait à combler un manque d’intérêt théorique pour l’expérience corporelle subjective de femmes à morphologie pléthorique en lien avec les constructions culturelles occidentales autour du poids corporel. Elle tentait de soulever la pertinence de la prise en compte de la parole propre comme source riche pour une réflexion critique s’intéressant à une population féminine ayant comme enjeu le rapport au corps et au poids. La thèse doctorale offrait un espace de parole pour cinq femmes à morphologie pléthorique en bonne santé ayant évolué toute leur vie avec un poids à l’écart des normes de minceur afin de faire entendre leur récit et contribuer, ainsi, à apporter un éclairage nuancé, par la richesse et la complexité des parcours de vie, au vécu de l’obésité. Cliniquement, considérer ces nuances permet de penser des interventions appropriées, sensibles et ajustées à la réalité de ces femmes. Les cinq femmes québécoises, nées de parents québécois, étaient âgées entre 35 et 55 ans, étaient en bonne santé physique et mentale ainsi qu’en surplus de poids depuis l’enfance. La question de recherche était: Comment dans un contexte social occidental contemporain de contrôle du corps une femme en bonne santé physique et mentale, à morphologie pléthorique, vit-elle son corps différent, «hors norme»? Il s’agissait de mieux comprendre le vécu de femmes dites obèses, selon une classification médicale normative, à travers leur façon de faire le récit de leur rapport au corps dans leur parcours personnel. Ce travail visait à décrire la façon dont ces femmes vivent la relation à leur corps au regard d’une société privilégiant un autre modèle du corps. Les sous-objectifs étaient : 1) Explorer leur expérience corporelle au regard de la forme corporelle idéalisée contemporaine souvent imposée aux sujets s’identifiant comme étant de sexe féminin. 2) Questionner l'expérience de leur corps en lien avec les normes de santé. La méthode de recherche employée pour cette thèse d’approche qualitative était celle du récit de vie faisant partie des méthodologies d’études de cas, telle que décrite par Daniel Bertaux (2010). Inspirée par la pensée de Gadamer (1975), une activité de collage d’images de revues a permis aux cinq femmes d’effectuer une synthèse de leur récit en favorisant une mise en relation avec leur rapport au corps autrement que par l’élaboration et le langage, via l’utilisation d’images permettant une dimension plus affective, en deçà des mots. L’analyse du matériel de recherche consistait en une organisation du discours en un récit phénoménologique tel que présenté dans Paillé & Mucchielli (2012). Le travail d’interprétation était phénoménologique interprétatif selon la méthode de Max van Manen (1984). De plus la posture éthique et critique de l’étudiante-chercheuse s’inspirait de la phénoménologie-féministe (Fisher & Embree, 2000). Cinq récits de rapports au corps des femmes, entrecoupés de thèmes spécifiques, ont émergé du travail d’analyse des entrevues et des activités de collage. Ceux-ci ont permis le dégagement de thématiques dans la discussion, fruit de l’élaboration d’un dialogue entre les résultats de la recherche (en quoi ils illustrent, questionnent ou déplacent les objectifs de la thèse) et la revue de littérature sur le sujet du corps, du poids et de la santé des femmes. Les récits des cinq femmes révèlent comment l’expérience intime de leur corps est déterminée par une imbrication complexe de multiples influences concomitantes et ce, inscrit dans une existence singulière. Voici les thèmes dégagés dans la discussion : honte du corps et haine de soi; la part de l’autre : transmission d’une blessure, ingérence, aliénation; finitude, souffrance et développement; corps féminin idéal et manque de diversité; limites des discours de santé; la présence d’une intériorité; imprévisibilité et fluidité du corps, spécificité corporelle féminine; vulnérabilité et dépendance en contrepoids à la puissance et l’autonomie; rôle des figures de soins médicales : position délicate et paradoxale; la part d’un tiers : différenciation et réconciliation avec sa réalité incarnée; mobilité et spatialité : jouer avec son corps pour plus de liberté; corps du sujet : nœud complexe, ambigu et paradoxal : l’urgent besoin de le penser; la question du «trop» et de «l’excès» : se donner le temps de penser; le corps féminin : l’origine du monde et les limites à son accès. En conclusion, accompagner des individus présentant une souffrance quant à leur corps et leur poids exige le travail d’une pensée ouverte sur une recherche de sens ne pouvant pas se satisfaire seulement d’objectivations simplificatrices et se devant de rester sensible à la singularité et à la complexité de l’expérience incarnée.
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MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : obésité, psychologie, rapport au corps, phénoménologie-féministe, approches critiques en santé, corps des femmes, récit de vie