Quelle autonomie pour la recherche? : analyse épistémologique des conditions de la gouvernance des sciences

Bedessem, Baptiste (2019). « Quelle autonomie pour la recherche? : analyse épistémologique des conditions de la gouvernance des sciences » Thèse. Montréal (Québec, Canada), Université du Québec à Montréal, Doctorat en philosophie.

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Résumé

L'autonomie du champ scientifique, comprise comme sa capacité à fixer par lui-même sa composition interne, ses normes et ses objets, résulte d'ajustements et de compromis entre deux forces antagonistes : d'un côté, l'inscription du développement scientifique et technique dans un certain contexte social dont il tire ses ressources et qui tend à le mettre sous la dépendance d'objectifs et d'enjeux qui dépassent la seule communauté des chercheurs; de l'autre, une défense inlassable de l'autonomie scientifique comme nécessité politique et épistémologique, provenant souvent des chercheurs eux-mêmes. L'émergence d'un besoin de contrôle des avancées de la science, ainsi que la montée en puissance d'une recherche insérée dans une logique de marché, semble conditionner aujourd'hui un relatif mouvement de recul de cette autonomie. Les modifications contemporaines des modes de gouvernance de la recherche scientifique posent dans ce cadre des questions proprement épistémologiques : quel type et quel degré d'autonomie faut-il accorder au champ scientifique d'une part, et aux chercheurs individuels d'autre part, pour optimiser la production des connaissances? Comment organiser, institutionnaliser l'effort de recherche de manière à ce que la limitation de l'autonomie qui en résulte soit positive sur le plan épistémologique? Notre thèse adopte ainsi une perspective philosophique sur des questions souvent réservées aux économistes et autres spécialistes du management de la recherche; en particulier, celle des schémas d'attribution des ressources aux différentes disciplines, communautés ou individus constitutifs du champ scientifique. Nous procédons en deux temps. Premièrement, nous tentons de lier les contraintes propres du processus de recherche aux conditions souhaitables de sa gouvernance. Nous interrogeons ainsi la portée et les limites des principes d'autonomie du champ scientifique d'une part, et de liberté de recherche d'autre part, comme moteurs de la productivité épistémique des activités de recherche. Deuxièmement, nous suggérons un schéma possible de financement de la recherche qui satisfasse les conditions épistémologiques précédemment mises au jour. Nos analyses dessinent alors le cheminement suivant. Tout d'abord, nous proposons une recension des argumentaires élaborés pour défendre l'autonomie de la science et la liberté de recherche comme une nécessité épistémologique. Nous reconstruisons sur cette base deux thèses pro-autonomie qui doivent être prises au sérieux, car leurs critiques classiques échouent à les disqualifier de manière convaincante. La thèse « libérale » pose que la liberté individuelle des chercheurs favorise la productivité épistémique, en motivant la créativité, l'anticonformisme, la diversification des problèmes, questions et objets de recherche. La thèse « anti-utilitariste» distingue une science fondamentale d'une science appliquée en fonction des questions ou des objets étudiés et affirme la supériorité épistémique d'une recherche dédiée à des problèmes exclusivement cognitifs. Nous menons ensuite l'analyse critique de ces deux thèses. Nous abordons en un premier temps la thèse libérale à travers une mise en cause du modèle de la dynamique de la recherche qui la sous-tend. Contre la mise en valeur de la science comme activité exploratoire, nous proposons, justifions et renouvelons la perspective pragmatiste sur l'enquête sur la base d'études de cas et des travaux contemporains liés au practical turn. Nous suggérons l'existence d'une forme de conservatisme inhérente au processus de recherche, que nous qualifions de conservatisme pratique par contraste avec le conservatisme représentationnel souvent mis en avant comme principe régulateur du changement dans les sciences. Nous en déduisons qu'un principe de laissez-faire n'optimise pas la fécondité épistémique de l'enquête. Nous critiquons également, sur cette base, les directions prises actuellement par l'épistémologie sociale lorsqu'elle s'attache à décrire la dynamique de division du travail cognitif au sein du champ scientifique. Nous revenons dans un second temps sur la thèse anti-utilitariste, en critiquant tout d'abord la distinction entre science fondamentale et science appliquée comme introduisant artificiellement une rupture entre les types de pratiques en fonction des objectifs qu'elles s'assignent. Nous proposons de déplacer cette opposition en élaborant une distinction entre des problèmes que nous qualifions d'endogènes, émergeant dans le cours des pratiques scientifiques, et des problèmes exogènes identifiés à l'extérieur du champ scientifique. Nous tentons alors de préciser les mécanismes des interactions entre ces problèmes endogènes et exogènes. En prenant l'histoire de la biologie moléculaire comme illustration, nous montrons la perméabilité constitutive du processus de recherche aux problèmes exogènes, nous détaillons certains mécanismes de ces interactions dans le cas des objets complexes, et nous montrons en quoi cette perméabilité est épistémologiquement positive. Le cas des développements historiques de la cancérologie et de la psychiatrie nous permettent de préciser ce point. Ils nous amènent également à caractériser un anti réductionnisme spéculatif qui défend la nécessité de valoriser le pluralisme par un mode de pilotage de la science favorisant activement la diversité disciplinaire. Nous illustrons cette notion d'anti-réductionnisme spéculatif en nous appuyant sur l'analyse des controverses récentes autour des théories explicatives du cancer. Enfin, dans un dernier temps, nous prolongeons ces analyses épistémologiques sur le plan pratique, en tentant d'en déduire des conditions de financement qui satisfassent les propriétés de la dynamique de la recherche précédemment dégagées. Nous commençons par montrer que les principes guidant les modes actuels de pilotage de la recherche publique ne sont pas conformes aux contraintes épistémiques que nous proposons de prendre en compte. Contre la sélection trop centralisée des projets sur la base de l'évaluation par les pairs, d'une part, et la différentiation des sources de financement en fonction des objets ou de types de recherche, nous proposons un schéma de financement décentralisé et participatif reflétant la diversité des pratiques et la convergence locale des intérêts. _____________________________________________________________________________ MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : autonomie scientifique; liberté de recherche; gouvernance de la recherche; pragmatisme; changement scientifique; philosophie de la biologie

Type: Thèse ou essai doctoral accepté
Informations complémentaires: La thèse a été numérisée telle que transmise par l'auteur.
Directeur de thèse: Guillin, Vincent
Mots-clés ou Sujets: Recherche scientifique / Autonomie / Liberté / Philosophie des sciences
Unité d'appartenance: Faculté des sciences humaines > Département de philosophie
Déposé par: Service des bibliothèques
Date de dépôt: 22 oct. 2019 07:45
Dernière modification: 22 oct. 2019 07:45
Adresse URL : http://archipel.uqam.ca/id/eprint/12867

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