Gauthier, François
(2006).
« La recomposition du religieux et du politique dans la société du marché : première étude : fêtes techno et nouveaux mouvements contestataires / » Thèse.
Montréal (Québec, Canada), Université du Québec à Montréal, Doctorat en sciences des religions.
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Résumé
Le débat en sciences sociales sur la définition de la religion est pris depuis un siècle dans l'étau des paradigmes individualistes et holistes. Partant de considérations herméneutiques, cette thèse se heurte à cette impasse pour ensuite tenter de l'éclairer. Ce travail se divise en deux parties. Dans la première, intitulée « analytique de la transgression », cette thèse poursuit une étude commencée à la maîtrise sur le phénomène techno dont l'effervescence et les mécanismes rituels et initiatiques ont marqué le paysage culturel des années 1990. Nous commençons par démontrer en quoi ces fêtes, ainsi que la culture qui les entoure, participent bel et bien de la religion ; cela, à partir d'un cadre théorique religiologique, tel que développé au département des sciences des religions de l'UQÀM, et selon lequel le religieux, dans la modernité, « se déplace, plus qu'il ne disparaît ». Il s'agit donc de traquer ces déplacements dans un lieu foisonnant d'imaginaire et investi massivement par une nouvelle génération sensiblement éloignée des significations traditionnelles du christianisme, dans l'objectif d'en soutirer des hypothèses d'ordre général au sujet de l'économie religieuse contemporaine. Plus spécifiquement, notre première analyse s'articule autour du concept de transgression empruntée aux travaux de Georges Bataille. Au plan religieux, la culture techno est faite de rituels festifs qui déplacent le rôle structurant des contenus de croyance vers la primauté de l'expérience et de la pratique. Dans la mesure où la religiosité est fonction de la rupture d'avec le quotidien profane opérée par les mécanismes de la transgression, l'analyse fait apparaître une valeur subversive concourante au religieux. Cette incidence nous incite à poser la question de la signification politique du phénomène techno. Or, par son mode festif d'organisation et de manifestation, la nébuleuse des « nouveaux mouvements contestataires » (NMC), au premier plan duquel figure l'altermondialisme, use du même modus operandi que le phénomène techno. La déclinaison de la fête sous le mode « manifestif » est mécanisme d'ouverture du possible, instaurateur de communauté et inscription des différences. Elle est, dans sa fonction fondatrice, condition de possibilité et expression du politique. Nous apercevons ainsi les mêmes caractéristiques affleurer tant au niveau politique qu'au niveau religieux : refus de l'autorité, valorisation de la singularité, valorisation de l'expérience, quête d'altérité et mise à profit de la potentialité instituante du carnavalesque. Or, cette première analyse est incomplète en elle-même et, dans la mesure où les interdits transgressés appartiennent en propre à une société de consommation, en appelle à questionner plus avant les rapports entre religieux, politique et économique. À ce stade, nos objets sont considérés comme des isolats. Il en résulte un effet spéculaire qui reproduit dans l'analyse les jugements de valeur et les visions du monde propres à leur objet. Notre deuxième partie, intitulée « analytique de la condition », renverse cette première perspective pour saisir la dynamique qui opère entre marge et centre. Prenant acte des limites du paradigme holiste qui substitue un jugement de valeur négatif au jugement positif de la première méthode, nous reconstruisons notre objet de recherche en fonction des résidus de la première analyse. En plus d'être porteurs d'une certaine « alternative », les phénomènes marginaux apparaissent finalement comme une manifestation et une amplification du centre (notamment en ce qui a trait aux leitmotivs d'authenticité, de progrès et d'expressivité), qu'ils contribuent à refonder. Cela nous mène à reconsidérer la place de la religion dans les sociétés contemporaines et, plus largement, dans la modernité. La perspective de départ, si elle rend compte de l'écologie interne des phénomènes, reporte un caractère pré-construit de l'objet religieux : marginal, vecteur de réenchantement dans une société désenchantée et, politiquement, intrinsèquement critique ou subversif. Cette idéologie peut être retracée dans l'épistémè moderne qui oppose, de manière constitutive, la religion et la modernité et qui s'est répercuté dans les sciences sociales par le biais des diverses formulations, parfois explicites parfois implicites, de la théorie de la sécularisation et du désenchantement. Cette épistémè, loin d'être le fait de penseurs isolés, affecte ainsi l'ensemble des théories de la religion, fonctionnelles comme substantives. Or, notre interrogation de la contestation politique, des marges et de la résistance reporte la question de la recomposition du politique dans le champ plus vaste du social entendu comme système symbolique global dans lequel peuvent s'articuler marge et centre. Notre effort fait apparaître qu'une étude des faits religieux doit comprendre une interrogation de la morphologie sociale. Cette question reporte à son tour le rôle de la religion au cœur même des mécanismes de régulation de l'ordre social. Une autre difficulté sur laquelle nous nous penchons concerne la notion de sacré. Constitutive de notre première définition de la religion, l'articulation de celle-ci au sacré aboutit en définitive à une réification de l'autre qui substitue une métaphysique de l'altérité à la métaphysique traditionnelle fondée sur l'identité. Une articulation plus profonde entre identité et altérité se profile ainsi derrière l'opposition sacré / profane. La figure de Marcel Mauss est centrale à nos réflexions en cela que l'on trouve dans son œuvre la découverte de deux niveaux irréductibles, topique et énergétique, que refoulent également la notion de sacré. Notre proposition théorique délaisse le sacré pour considérer l'Autre et le Même comme deux versants dialectiques de ce que nous appelons le fondement. Ce concept a l'avantage sur la notion de sacré de ne pas être une catégorie métaphysique compacte et inanalysable qui sert de butoir ou qui ferme l'horizon des théories de la religion d'inspiration phénoménologique. La perspective du fondement permet aussi de saisir la manière dont topique et énergétique opèrent une fonction de totalisation à la jonction du Même et de l'Autre, c'est-à-dire l'effet de sens en propre du religieux. C'est ainsi que cette thèse en arrive à la formulation de l'hypothèse suivante, qui devra être reprise dans une étude ultérieure : De sociétés à mode de fondation, de régulation et de reproduction à autorité transcendante de type théologique (chrétienne) puis politique (État-nationale), nos sociétés occidentales sont passées, au cours de la modernité historique et son processus de modernisation, à un mode de fondation, de régulation et de reproduction à autorité immanente, orthopraxique et non plus orthodoxique, sous le signe de l'économique. Par conséquent, nous pouvons comprendre la cohérence des modalités contemporaines du religieux comme participant d'une recomposition de la religion propre à la société du marché. Nous disons que c'est dans leur fondement religieux, à la jonction de l'identité et de l'altérité, que les mutations contemporaines du politique et de l'économique trouvent leur sens.
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MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : Religion, modernité, sacré, politique, fêtes techno, altermondialisme, économique